Sept espèces d’écrevisses colonisent l’ensemble des cours d’eau français. Parmi elles, trois sont autochtones :
l’écrevisse à pattes rouges (Astacus astacus)
l’écrevisse à pattes blanches (Austropotamobius pallipes)
la rarissime écrevisse des torrents (Austrapotamobius torrentium)
Procambarus Clarkii © M. Robion
Procambarus Clarkii © M. Robion
Une quatrième espèce est dotée d’un statut que l’on pourrait qualifier « d’entre-deux-chaises » : l’écrevisse à pattes grêles (Astacus leptodactylus) ou « turque ». Bien qu’étant une espèce importée d’Europe centrale au cours du XIXe siècle, elle a obtenu sa « naturalisation » après s’être acclimatée dans les eaux françaises sans provoquer de dommages aux milieux naturels.
On ne peut pas en dire autant des trois autres espèces venues d’Amérique.
L’écrevisse rouge de Louisiane (Procambarus clarkii)
Originaire du Mexique et du sud-est des États-Unis, c’est son succès culinaire en Amérique qui conduit à son introduction pour l’élevage en Europe à partir des années 1970. Elle colonise ensuite les milieux naturels lors de déversements volontaires ou accidentels.
L’écrevisse américaine (Orconectes limosus)
Originaire de la côte Est des États-Unis et du sud du Canada, elle est introduite en Europe, via l’Allemagne et la Suisse, dans les années 1880, avant de faire son apparition en France, dans le Cher, en 1911.
L’écrevisse californienne (Pacifastacus leniusculus)
L’écrevisse californienne (Pacifastacus leniusculus), dénommée aussi écrevisse « signal » en raison des tâches d’un bleu blanc qui ornent l’articulation de ses pinces, arrive en France, en provenance du nord-est des États-Unis, dans les années 1970 également. Des scientifiques ont introduit volontairement cette espèce omnivore (mais dont le régime alimentaire est essentiellement herbivore) et longue d’une vingtaine de centimètres à l’âge adulte, imaginant qu’elle pourrait pallier le déclin de l’écrevisse à pattes rouges.
Dès leur arrivée dans l’Hexagone, les écrevisses américaines provoquent des dégâts sanitaires. En effet, elles sont porteuses saines du champignon à l’origine de la peste des écrevisses. Les écrevisses autochtones, pattes grêles comprises, dépourvues de défenses immunitaires spécifiques, sont irrémédiablement contaminées et leurs populations décimées. Une peste qui s’est d’autant plus diffusée rapidement que les Américaines sont extrêmement prolifiques. Elles se reproduisent vite et en nombre. Alors qu’une « patte blanche » engendre à chaque période de reproduction une cinquantaine de juvéniles, la « Louisiane » et la « Californienne » pondent entre 400 et 800 œufs. L’écrevisse rouge de Louisiane est apte à se reproduire dès l’âge de 6 mois (contre 2 à 4 ans pour les espèces autochtones) et est alors physiologiquement capable de pondre, à n’importe quel moment de l’année, dès lors que les conditions de température (18 °C au minimum) et de ph de l’eau (7-8) sont réunies. Durant la première année de sa vie, elle peut muer (changer de carapace) jusqu’à huit reprises. Sa taille adulte atteinte, elle ne changera plus de peau qu’une fois par an.
Les écrevisses américaines, dont la taille varie de 9 à 20 cm selon les espèces, sont également très voraces.
Omnivore et agressive, la plus petite, l’écrevisse de Louisiane, attaque tout ce qui bouge. Elle entre en concurrence territoriale avec les autochtones. La rencontre des deux espèces tourne immanquablement à l’affrontement. Les autochtones ne sortent jamais victorieuses et gardent toujours les traces de leur défaite, facilement repérables sur une pince ou une antenne qui finissent par se régénérer. Une régénération qui est le signe que les dominées ont dû, dans la bagarre, se mutiler pour se libérer. À la mue suivante, la pince ou l’antenne repoussera, mais l’animal restera affaibli jusqu’à la fin de ses jours.
L’écrevisse des torrents a besoin d’une eau de grande qualité pour vivre et se développer. Les écrevisses américaines, elles, n’ont guère d’exigences quant à la qualité des milieux. Pour exemple, l’écrevisse rouge de Louisiane s’adapte à tous les milieux. Ses capacités de résistance sont sans bornes. Elle survit dans des écosystèmes pauvres en richesses organiques, voire pollués, et peut supporter de longues périodes de sécheresse. Capacité de nuisance supplémentaire, elle a une insatiable propension à creuser des terriers pouvant atteindre 2 à 3 m de profondeur, galeries engendrant la déstabilisation voire la destruction des levées et des digues. Elle a envahi les zones humides de l’Ouest de la France et la Camargue. D’importantes populations d’écrevisses californiennes, adeptes des eaux fraîches, lentes, profondes et bien oxygénées, se sont parfaitement acclimatées dans le lac Léman. Sur la base d’observations, des scientifiques auraient conclu que les écrevisses ne seraient présentes que dans les cours d’eau orientés d’est en ouest.
Quoi qu’il en soit, sur l’ensemble des bassins hydrographiques français, l’expansion galopante des écrevisses américaines s’est faite aux dépens des écrevisses autochtones, dont les populations ne sont aujourd’hui plus que résiduelles. Le mal est fait et perdure. Et malheureusement personne ne détient aujourd’hui de remède miracle pour éradiquer les américaines envahissantes. Elles figurent depuis 1983 sur la liste des espèces susceptibles de provoquer des déséquilibres biologiques et sur celle des espèces exotiques envahissantes.
La loi interdit donc leur détention et leur transport à l’état vivant. Leur élevage est prohibé. Toutefois les pêcheurs professionnels, par dérogations préfectorales, sont autorisés à les commercialiser. Transformées en bisque ou livrées vivantes dans des caissons cerclés et cadenassés aux restaurateurs, elles occupent désormais une place de choix dans la gastronomie. Elles font également l’objet de campagnes de pêche de régulation et d’éradication sur le domaine public ou sur des plans d’eau privés à l’initiative de leurs propriétaires.
50 tonnes d’écrevisses américaines ont été capturées en 2009 contre 25 tonnes en 1999.